Dé-zéronèf (Février 2009) LÉSÉ-Y PWOFITÉ !


Monchoachi


Après dé-zéronèf (février 2009) qui nous a empli d’une joie d’autant plus indicible, qu’inattendue et providentielle fut sa survenue, nous avons à présent à faire l’épreuve d’un nouveau savoir dont les contours apparaissent et que l’on peut exprimer ainsi : la capacité du peuple que l’on croyait dissoute tant elle ne s’était manifestée depuis longtemps à exprimer un sentiment commun, à faire entendre une volonté commune; au-delà, et au fil d’évènements marquants (funérailles d’Aimé Césaire) l’émergence inespérée d’une nation ; l’esprit de détermination à aller jusqu’au bout (jusqu’à la victoire) et le sentiment soudain acquis que la force du peuple surpasse la force des armes ; le rejet d’une dépendance humiliante se manifestant dans toutes les sphères de la vie, économique, sociale, éducative et politique : la critique enfin d’une société qui assujettit et se résume à une consommation effrénée dégradante.

Reste maintenant à éprouver ce nouveau savoir, ce à quoi on ne peut accéder qu’à le laisser croître. Or d’aucuns se sont précipités en vue de l’étouffer. La vérité du commun dessein qui activait les uns et les autres apparut au grand jour lorsque se produisit le télescopage de la dénomination de leurs projets respectifs : aux Etats-Généraux des uns faisaient écho les Etats-Généraux des autres. Une telle collision ne peut mentir. Elle dit la collusion même. A ceux qui veulent escamoter ce nouveau savoir en lui substituant la parole des experts, font pendant ceux qui cherchent à s’en emparer dans la précipitation et par piratage pour le plonger dans l’agitation frénétique.


Nous disons pour notre part : il faut le laisser croître.

Écartons d’abord le malentendu qui consisterait à nous représenter « laisser » comme étant « délaisser », « abandonner ». En aucun cas laisser croître ne peut vouloir dire « délaisser », « abandonner ». Tout au contraire « laisser » doit s’entendre à la façon dont il est dit, parlant d’un arbre ou d’un enfant, lésé-y vini (le laisser venir au devenir) ou mieux encore puisqu’il a tant été question ces temps-ci de pwofitasyon, lésé-y pwofité, ce qui, loin de prescrire une conduite de délaissement et d’abandon, enjoint de remiser formules de contrariétés et artifices, et de leur préférer plutôt la bonté. Laisser : prévenance et endurance, un long cheminement. Loin par conséquent d’édicter délaissement et abandon, lésé-y pwofité, laisser grandir et s’épanouir, requiert attention vive et soins mesurés. Parallèlement, l’idée de laisser, renferme aussi bien la pensée que tout ce qui croît, pour autant qu’il croît, est nécessairement conforme à sa propre mesure, à la mesure intime qui le gouverne, et que cette mesure est également en quête de ses assonances. Celles-ci retentissent et se font entendre de l’accord recherché entre ce qui croît et l’appel du lieu, les vibrations qui en résultent, donnant ainsi naissance à ce que l’on peut appeler un monde. C’est dire que « laisser venir » est inséparable d’ « amener venir », le mennen-vini créole qui opère par la magie du lieu et de son envers, la magie de l’appel d’autant plus puissant que sa présence même est soustraite : cri que seul peut porter et supporter le silence.

Laisser venir et laisser profiter le nouveau savoir issu du mouvement de février, signifie en conséquence : l’amener-venir dans le plein assentiment au lieu, ce qui implique avant toute chose, l’ouvrir à l’appel du lieu. C’est ce désir de s’ouvrir à l’appel du lieu qu’apporte avec lui jusqu’à nos oreilles le vent du mouvement de février et qui constitue le plus clair de notre nouveau savoir.


Pourtant ce désir d’ouverture ne garantit nullement à lui seul qu’une réelle ouverture en vienne à s’accomplir. Pour que celle-ci opère, faut-il encore que l’appel devienne lui-même audible, et dans ce dessein, faut-il l’affranchir de ce qui le jugule : en un mot, qu’il faille mettre à raison la raison qui compartimente et réifie, qu’il faille mettre à bas les catégories, les normes, les schémas, les codes et les modèles que la raison érige, qui nous aliènent et nous assujettissent.

C’est à ce cheminement vers le lieu, à cette remontée vers l’appel que convie Lakouzémi depuis bientôt 2 ans.


Un préalable cependant à l’adresse de tous ceux (et ils sont de plus nombreux) qui voudraient que notre pays soit véritablement notre monde, car seule cette démarche partagée avec tous les gens du monde fera la terre exhaler les infinies senteurs de tous ses habitants (animaux, végétaux , humains, dans la lumière qui leur accorde à tous de croître et de s’épanouir) et non plus l’empire plat et désymbolisé d’une civilisation (c’est elle-même qui le dit) sans futur. Un préalable : que chacun se persuade que l’adversaire est autant la dépendance extérieure qui nous impose certes sa loi, et à laquelle il est urgent de mettre un terme, que nos habitudes que cette dépendance conditionne et qui font la force la plus redoutable qui soit : la force d’inertie qui engendre le sentiment d’impuissance, parfois la désespérance, et nous font hésiter ou renoncer à nous mettre au chemin.

Ce désir de s’ouvrir à l’appel du lieu exprimé avec force par le mouvement de février, chacun sait à présent qu’il nous incite et nous invite à enraciner nos manières de pensée et nos modes de vie.

Amené par une protestation contre la vie chère, le mouvement a mis en évidence le poids de la dépendance alimentaire notamment, et par contre coup, il a mis en perspective, la cruciale exigence de l’autosuffisance alimentaire. Mais dire « autosuffisance alimentaire » c’est reprendre une formule, qui, pour commode qu’elle paraisse, est manifestement à son tour insuffisante. Car l’autosuffisance ne doit pas nous conduire, à reprendre à notre propre compte le modèle productiviste occidental qui , en agriculture, en élevage et en pêche, a déjà fait étalage de sa nuisance : épuisement des sols, dilapidation des ressources, pollution des sous sols et des rivières, mais aussi désintégration des relations de voisinage et des pratiques de solidarité, urbanisation, chômage… Sous couvert de productions infiniment accrues de biens et de richesse, le productivisme ne génère que ruines et dépendances.

Pour autant, ce rejet du productivisme ne doit pas nous mener au mimétisme,à plagier la vogue de la culture biologique en cours qui, à bien des égards, s’apparente à la création d’un nouveau produit intégré à la dynamique constante des sociétés marchandes.


Gardien de l’esprit des lieux qui est l’esprit qui anime et oriente toute la quête Lakouzémi, le jardin créole peut et doit constituer un pôle de résistance et de sauvegarde. Héritage des Caraïbes quant à son principe (à l’origine jardin caraïbe) enrichi par les nègres, il est emblématique de cet inéluctable retour à la parole sauvage auquel nous convions.



Cependant de même que le jardin créole fait pièce, par la qualité de sa diversité, au quantitativisme induit par la notion de suffisance, de même sa réappropriation ne doit pas donner lieu à réduction, autrement dit, elle ne doit pas l’amener et le cantonner au seul plan de l’alimentaire, ce qu’il n’était pas à l’origine. Réserve de vivres et de rimed, le jardin est aussi un chemin d’initiation pour les jeunes filles, par leur mère, car ce sont les femmes qui plantent entretiennent et récoltent ; rituel de solidarité communautaire (ce sont les hommes qui font l’abattis, préparent l’espace) ; cérémoniel de remerciement à la nature (on ne plante pas sans lui rendre grâce) ; enfin il est une œuvre de beauté.


L’entendement moderne considère toute idée de « retour » comme un régression fatale vers un stade élémentaire, « primitif », auquel s’opposerait la prétendue complexité des sociétés actuelles « dites « évoluées ». Or, les sociétés actuelles ne sont nullement complexes, (il s’agit là d’une méprise), elles ne sont que compliquées. Elles sont compliquées en raison même de leur assujettissement à l’entendement analytique qui les conduit à décomposer toujours plus, à spécialiser toujours plus. Ce ne sont pas les considérations écologiques récentes, dites de « développement durable » qui les amèneront à modifier leur comportement solidement assis sur la raison analytique ; ces dernières ne seront jamais que des préservatifs environnementaux. La raison en est que les questions que se posent les sociétés modernes ne peuvent trouver réponse qu’à partir de la raison analytique. Et ces questions, par delà leur déclinaison multiple et compliquée, doivent être ramenées pour être comprises à la seule hantise primaire qui les active et qui peut être énoncé de la sorte : quelle puissance mettre en œuvre en vue de se rendre maître de la nature ? C’est à la poursuite de cette chimère ruineuse que sont lancées les sociétés modernes.

Complexe en revanche est la pensée sauvage qui considère le monde comme un tout qui se répond et se correspond, auquel l’homme doit s’accorder. Et considère en conséquence que tous les aspects de la vie de l’homme doivent être articulés comme un tout, se répondre et se correspondre eux aussi.

La pensée est donc par nature sauvage, c'est-à-dire accordée à la terre et à ses habitants. La pensée n’est pas raison raisonnante, elle est sagesse, autrement dit elle est savoir.


Faire que le désir d’ouverture au lieu s’accomplisse, c’est donc rendre l’appel du lieu audible en ne le laissant pas assourdir et contrarier par des catalogues, des approches catégorielles, compartimentées, circonscrites qui vont inévitablement les fourvoyer, les détourner, les embarquer dans le quantitatif.

Par exemple, nous n’aurons pas réformé véritablement ce que l’on nomme aujourd’hui l’éducation en y ajoutant l’enseignement de l’histoire de notre pays et du créole, si la réflexion ne porte pas sur un appareil dont la nature et l’objectif clair est de fabriquer des esclaves salariés, des consommateurs et des chômeurs ;

Nous ne sortirons pas des discours assourdissants, répétitifs (plus d’emplois pour les jeunes : mais quoi ?la vision d’un jeune doit-elle se borner à trouver un emploi ?. Plus de logements : mais n’est-ce pas habiter véritablement dont il s’agirait plutôt ? Des transports en commun : mais quoi ? Pour faire les mêmes trajets, de l’entreprise au bureau aller retour ? plus de subventions, plus d’équipements pour la culture : mais l’art veut-il ses supermarchés ou sa fonction est-elle de nous changer le regard, de nous faire lever les yeux plutôt que les abaisser ?).

Annou pa rété pri an sa !
Annou pwofité !
Mais partant de ces différents problèmes, puisqu’ainsi ils nous sont présentés, il nous faut en renouveler l’approche, aller vers une réforme profonde de nos manières de pensées et de nos modes de vie.

Pa sonjé es nou ké rivé, ni koté nou ké rivé, ni ki tan nou ké rivé. Sé pran chimen ki tout.