LAKOUZEMI DÉ ZÉRO NEF













































FEY TOUNEN, mèsisouplé, Monchoachi
L A K O U Z E M I
SANMDI GLORYA 11 AVRIL 2009, 11H - 23H
PITT THOMASSIN, BARRIÈRE-LA-CROIX, SAINTE-ANNE

DÉ-ZÉRONÈF (février 09)… NOU KA VANSÉ TOUJOU
PA NI LIMIT

AUTOSUFFISANCE INTÉGRALE
LAREL-NOU AN TOUT’REL


DEBATS
&
Danse, Musique, Théâtre, Expositions, Ateliers, Boutique

Menu à 15 euros, Entrée libre, Mandé pou sav : 06 96 82 14 42

Lakou : An lakou ; Zémi : Divinités caraïbes

Aussi, en vente en librairie :
"Lakouzémi-Retour à la parole sauvage"
(256 pages, 20 euros)

Dé-zéronèf (Février 2009) LÉSÉ-Y PWOFITÉ !


Monchoachi


Après dé-zéronèf (février 2009) qui nous a empli d’une joie d’autant plus indicible, qu’inattendue et providentielle fut sa survenue, nous avons à présent à faire l’épreuve d’un nouveau savoir dont les contours apparaissent et que l’on peut exprimer ainsi : la capacité du peuple que l’on croyait dissoute tant elle ne s’était manifestée depuis longtemps à exprimer un sentiment commun, à faire entendre une volonté commune; au-delà, et au fil d’évènements marquants (funérailles d’Aimé Césaire) l’émergence inespérée d’une nation ; l’esprit de détermination à aller jusqu’au bout (jusqu’à la victoire) et le sentiment soudain acquis que la force du peuple surpasse la force des armes ; le rejet d’une dépendance humiliante se manifestant dans toutes les sphères de la vie, économique, sociale, éducative et politique : la critique enfin d’une société qui assujettit et se résume à une consommation effrénée dégradante.

Reste maintenant à éprouver ce nouveau savoir, ce à quoi on ne peut accéder qu’à le laisser croître. Or d’aucuns se sont précipités en vue de l’étouffer. La vérité du commun dessein qui activait les uns et les autres apparut au grand jour lorsque se produisit le télescopage de la dénomination de leurs projets respectifs : aux Etats-Généraux des uns faisaient écho les Etats-Généraux des autres. Une telle collision ne peut mentir. Elle dit la collusion même. A ceux qui veulent escamoter ce nouveau savoir en lui substituant la parole des experts, font pendant ceux qui cherchent à s’en emparer dans la précipitation et par piratage pour le plonger dans l’agitation frénétique.


Nous disons pour notre part : il faut le laisser croître.

Écartons d’abord le malentendu qui consisterait à nous représenter « laisser » comme étant « délaisser », « abandonner ». En aucun cas laisser croître ne peut vouloir dire « délaisser », « abandonner ». Tout au contraire « laisser » doit s’entendre à la façon dont il est dit, parlant d’un arbre ou d’un enfant, lésé-y vini (le laisser venir au devenir) ou mieux encore puisqu’il a tant été question ces temps-ci de pwofitasyon, lésé-y pwofité, ce qui, loin de prescrire une conduite de délaissement et d’abandon, enjoint de remiser formules de contrariétés et artifices, et de leur préférer plutôt la bonté. Laisser : prévenance et endurance, un long cheminement. Loin par conséquent d’édicter délaissement et abandon, lésé-y pwofité, laisser grandir et s’épanouir, requiert attention vive et soins mesurés. Parallèlement, l’idée de laisser, renferme aussi bien la pensée que tout ce qui croît, pour autant qu’il croît, est nécessairement conforme à sa propre mesure, à la mesure intime qui le gouverne, et que cette mesure est également en quête de ses assonances. Celles-ci retentissent et se font entendre de l’accord recherché entre ce qui croît et l’appel du lieu, les vibrations qui en résultent, donnant ainsi naissance à ce que l’on peut appeler un monde. C’est dire que « laisser venir » est inséparable d’ « amener venir », le mennen-vini créole qui opère par la magie du lieu et de son envers, la magie de l’appel d’autant plus puissant que sa présence même est soustraite : cri que seul peut porter et supporter le silence.

Laisser venir et laisser profiter le nouveau savoir issu du mouvement de février, signifie en conséquence : l’amener-venir dans le plein assentiment au lieu, ce qui implique avant toute chose, l’ouvrir à l’appel du lieu. C’est ce désir de s’ouvrir à l’appel du lieu qu’apporte avec lui jusqu’à nos oreilles le vent du mouvement de février et qui constitue le plus clair de notre nouveau savoir.


Pourtant ce désir d’ouverture ne garantit nullement à lui seul qu’une réelle ouverture en vienne à s’accomplir. Pour que celle-ci opère, faut-il encore que l’appel devienne lui-même audible, et dans ce dessein, faut-il l’affranchir de ce qui le jugule : en un mot, qu’il faille mettre à raison la raison qui compartimente et réifie, qu’il faille mettre à bas les catégories, les normes, les schémas, les codes et les modèles que la raison érige, qui nous aliènent et nous assujettissent.

C’est à ce cheminement vers le lieu, à cette remontée vers l’appel que convie Lakouzémi depuis bientôt 2 ans.


Un préalable cependant à l’adresse de tous ceux (et ils sont de plus nombreux) qui voudraient que notre pays soit véritablement notre monde, car seule cette démarche partagée avec tous les gens du monde fera la terre exhaler les infinies senteurs de tous ses habitants (animaux, végétaux , humains, dans la lumière qui leur accorde à tous de croître et de s’épanouir) et non plus l’empire plat et désymbolisé d’une civilisation (c’est elle-même qui le dit) sans futur. Un préalable : que chacun se persuade que l’adversaire est autant la dépendance extérieure qui nous impose certes sa loi, et à laquelle il est urgent de mettre un terme, que nos habitudes que cette dépendance conditionne et qui font la force la plus redoutable qui soit : la force d’inertie qui engendre le sentiment d’impuissance, parfois la désespérance, et nous font hésiter ou renoncer à nous mettre au chemin.

Ce désir de s’ouvrir à l’appel du lieu exprimé avec force par le mouvement de février, chacun sait à présent qu’il nous incite et nous invite à enraciner nos manières de pensée et nos modes de vie.

Amené par une protestation contre la vie chère, le mouvement a mis en évidence le poids de la dépendance alimentaire notamment, et par contre coup, il a mis en perspective, la cruciale exigence de l’autosuffisance alimentaire. Mais dire « autosuffisance alimentaire » c’est reprendre une formule, qui, pour commode qu’elle paraisse, est manifestement à son tour insuffisante. Car l’autosuffisance ne doit pas nous conduire, à reprendre à notre propre compte le modèle productiviste occidental qui , en agriculture, en élevage et en pêche, a déjà fait étalage de sa nuisance : épuisement des sols, dilapidation des ressources, pollution des sous sols et des rivières, mais aussi désintégration des relations de voisinage et des pratiques de solidarité, urbanisation, chômage… Sous couvert de productions infiniment accrues de biens et de richesse, le productivisme ne génère que ruines et dépendances.

Pour autant, ce rejet du productivisme ne doit pas nous mener au mimétisme,à plagier la vogue de la culture biologique en cours qui, à bien des égards, s’apparente à la création d’un nouveau produit intégré à la dynamique constante des sociétés marchandes.


Gardien de l’esprit des lieux qui est l’esprit qui anime et oriente toute la quête Lakouzémi, le jardin créole peut et doit constituer un pôle de résistance et de sauvegarde. Héritage des Caraïbes quant à son principe (à l’origine jardin caraïbe) enrichi par les nègres, il est emblématique de cet inéluctable retour à la parole sauvage auquel nous convions.



Cependant de même que le jardin créole fait pièce, par la qualité de sa diversité, au quantitativisme induit par la notion de suffisance, de même sa réappropriation ne doit pas donner lieu à réduction, autrement dit, elle ne doit pas l’amener et le cantonner au seul plan de l’alimentaire, ce qu’il n’était pas à l’origine. Réserve de vivres et de rimed, le jardin est aussi un chemin d’initiation pour les jeunes filles, par leur mère, car ce sont les femmes qui plantent entretiennent et récoltent ; rituel de solidarité communautaire (ce sont les hommes qui font l’abattis, préparent l’espace) ; cérémoniel de remerciement à la nature (on ne plante pas sans lui rendre grâce) ; enfin il est une œuvre de beauté.


L’entendement moderne considère toute idée de « retour » comme un régression fatale vers un stade élémentaire, « primitif », auquel s’opposerait la prétendue complexité des sociétés actuelles « dites « évoluées ». Or, les sociétés actuelles ne sont nullement complexes, (il s’agit là d’une méprise), elles ne sont que compliquées. Elles sont compliquées en raison même de leur assujettissement à l’entendement analytique qui les conduit à décomposer toujours plus, à spécialiser toujours plus. Ce ne sont pas les considérations écologiques récentes, dites de « développement durable » qui les amèneront à modifier leur comportement solidement assis sur la raison analytique ; ces dernières ne seront jamais que des préservatifs environnementaux. La raison en est que les questions que se posent les sociétés modernes ne peuvent trouver réponse qu’à partir de la raison analytique. Et ces questions, par delà leur déclinaison multiple et compliquée, doivent être ramenées pour être comprises à la seule hantise primaire qui les active et qui peut être énoncé de la sorte : quelle puissance mettre en œuvre en vue de se rendre maître de la nature ? C’est à la poursuite de cette chimère ruineuse que sont lancées les sociétés modernes.

Complexe en revanche est la pensée sauvage qui considère le monde comme un tout qui se répond et se correspond, auquel l’homme doit s’accorder. Et considère en conséquence que tous les aspects de la vie de l’homme doivent être articulés comme un tout, se répondre et se correspondre eux aussi.

La pensée est donc par nature sauvage, c'est-à-dire accordée à la terre et à ses habitants. La pensée n’est pas raison raisonnante, elle est sagesse, autrement dit elle est savoir.


Faire que le désir d’ouverture au lieu s’accomplisse, c’est donc rendre l’appel du lieu audible en ne le laissant pas assourdir et contrarier par des catalogues, des approches catégorielles, compartimentées, circonscrites qui vont inévitablement les fourvoyer, les détourner, les embarquer dans le quantitatif.

Par exemple, nous n’aurons pas réformé véritablement ce que l’on nomme aujourd’hui l’éducation en y ajoutant l’enseignement de l’histoire de notre pays et du créole, si la réflexion ne porte pas sur un appareil dont la nature et l’objectif clair est de fabriquer des esclaves salariés, des consommateurs et des chômeurs ;

Nous ne sortirons pas des discours assourdissants, répétitifs (plus d’emplois pour les jeunes : mais quoi ?la vision d’un jeune doit-elle se borner à trouver un emploi ?. Plus de logements : mais n’est-ce pas habiter véritablement dont il s’agirait plutôt ? Des transports en commun : mais quoi ? Pour faire les mêmes trajets, de l’entreprise au bureau aller retour ? plus de subventions, plus d’équipements pour la culture : mais l’art veut-il ses supermarchés ou sa fonction est-elle de nous changer le regard, de nous faire lever les yeux plutôt que les abaisser ?).

Annou pa rété pri an sa !
Annou pwofité !
Mais partant de ces différents problèmes, puisqu’ainsi ils nous sont présentés, il nous faut en renouveler l’approche, aller vers une réforme profonde de nos manières de pensées et de nos modes de vie.

Pa sonjé es nou ké rivé, ni koté nou ké rivé, ni ki tan nou ké rivé. Sé pran chimen ki tout.

LAKOUZEMI, volume 2 - « RETOUR À LA PAROLE SAUVAGE »



272 pages, au format 260*280
Dos cousu collé, Titre 2 Couleurs
20 euros
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« De partout monte le sentiment qu’inexorablement le monde s’obscurcit. Et à ce sentiment répond, en écho, une aspiration diffuse à vivre dans la beauté.

En effet, quel que soit le modèle qu’il met en avant, quelle que soit l’idéologie qu’il agite, quelle que soit la figure qu’il montre, le monde moderne est mû par un même principe : l’idée selon laquelle la production de biens et l’accumulation de richesses constitueraient la fonction première des sociétés humaines, la voie incomparable pour atteindre au plein épanouissement des personnes.

Or, cette idée d’asseoir ainsi la vie de groupes humains (et, par suite, de l’humanité entière) sur l’accroissement infinie de la production et l’accumulation perpétuelle des richesses entraîne une dégradation intime des personnes, elle aussi sans limite. »
Monchoachi

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Ont contribué à cette publication :

Monchoachi : Poète
Alain Gontrand : Professeur de philosophie
Jean-Paul Michel : Poète, fondateur des Editions William Blake (France)
Denise Brassard : Université du Québec (Canada)
Serge Domi : Sociologue
Jean-Marc Terrine : Critique d’art
Philippe « Kenjah » Yerro : Anthropologue
Bruno Pédurand « IWA » : Artiste
Philippe « Selah » Beaunol : Artiste
Toto Zaka : Etudiant, Langues orientales
Alin Légares : Conteur martiniquais
Simone Lagrand : Auteur, slameur
Nicolas Nelzi (Nèg Madnik) : Pawolnanbouch , slameur
George Lamming : Ecrivain (Barbade)
Marcio Veloz Maggiolo : Ecrivain (Saint-Domingue)
Mireille Jean-Gilles : Ecrivain (Guyane)
Olive Senior : Ecrivain (Jamaïque)
Paroles Indiens d’Amérique du Nord

LAKOUZEMI, Volume 1 « ELOGE DE LA SERVILITE »



246 pages, au format 260*280
Dos cousu collé , Titre 2 Couleurs
(20 euros)
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« Comparées à la profondeur et à l’intensité des sentiments anciens, tout à la fois à leur enracinement (donc à leur radicalité) et à leur élévation, les affections modernes fluctuent au gré de modes et d’opinions commanditées, autrement dit, elles sont mues par la seule veulerie (…).
Du royaume de Thulé à la Papouasie, l’on s’essaie coûte que coûte, vaille que vaille, à détourner tous les peuples de la terre d’une quelconque relation spécifique avec leur monde spécifique, dans le but obtus que tous soient absolument régis par les mêmes artifices, que tous soient happés par la même machination, évoluent dans le même monde d’artifices, parfaitement calamistré, parfaitement convenu et agréé, dans lequel tous les mouvements, tous les déplacements, tous les battements de bouche et de coeur soient prévisibles, réglés, repérables, contrôlés, monde d’où soient évacuées tout écart, toute incartade, toute incertitude et toute extravagance, toute folie, tout chaos, un monde dont toute la saine fureur se trouve jugulée et aplatie par les mots, un monde qui a corrompu le langage au point d’en avoir fait un instrument de rapetissement et de tromperie, un monde par conséquent, en définitive, absolument propice à la perversion en tout genre et à la canaille (…). »
Monchoachi
« Le texte de Monchoachi se présente tantôt sous la forme d’un traité de philosophie politique, par la nature des ‘objets’ mis en questionnement ; tantôt sous la forme d’un pamphlet satirique, contre les institutions piliers de la société (post)coloniale ; la religiosité ; l’économie-prostitution ; les figures humaines et symboliques de la servilité... »
Juliette Sméralda
« Ce qui déconcerte dans l’oeuvre de Monchoachi, c’est son point d’appui, ou, pour prendre une image du monde du voyage, son point de départ, la rive dont il part et la mer qu’il explore : le dit-créole avec tout ce que la culture caraïbe y a pu laisser comme ferment méconnu ; la mystique créole, elle aussi largement innervée par le fond amérindien ».
Georges-Henri Léotin
« Combien ton texte est riche et précieux. Dès que je le mets en rapport avec notre
propre aventure de Créoles des Neiges, il devient virtuellement inépuisable. »
Jean Morisset

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Ont contribué à cette publication :

Monchoachi : Poète
Juliette Smeralda : Sociologue
Georges-Henri Leotin : Philosophe
Jean Morisset : Poète, Géographe

Entretien avec Monchoachi « Nous sommes devenus trop lisses »

Monchoachi


Lakouzémi, un appel aux divinités pour retrouver le sens de la parole ?

L’époque dans laquelle nous sommes entrés se caractérise par une chose et une seule : l’assujettissement de tous aux technologies. Cet assujettissement va grandissant, il tend à se « globaliser » : d’une part, à s’étendre à toute la surface de la terre ; mais aussi à englober chaque jour plus, tous les aspects de l’existence des individus. Cela, chacun peut le constater aisément. Ce dont nous tardons à prendre conscience, en revanche, c’est la totale impuissance à laquelle nous conduit cet assujettissement. En amenant la société à n’être plus qu’un marché, il réduit l’existence des individus et leur plus haut désir à une unique chose : consommer. Il n’y a plus ni classe, ni lutte de classe, les gens ne se distinguent plus que par leur plus ou moins grande capacité à consommer. Le résultat est qu’il n’y a plus d’horizon historique, ce que nous, Martiniquais, placés sous tutelle française, pouvons particulièrement, et pour certains dont je suis, cruellement éprouver. La société n’est plus rythmée que par la seule marche et évolution des technologies. Elle n’est plus régie que par des technocrates, ce que la domination outrageuse des sciences et des mathématiques dans l’enseignement montre à l’évidence : nous sommes passés du monde moderne au monde numérique.


L’autre résultat, c’est que s’appuyant sur le « triomphe » de son modèle, l’Occident a entrepris, à grande échelle, une recolonisation du monde, ce dont chacun peut aisément ce rendre compte. Lorsqu’on entreprend, comme je tente de le faire, de saisir les tenants et aboutissants d’un tel phénomène d’assujettissement, on est conduit à en percevoir l’origine fort lointaine, dans l’invention du monothéisme, qui constitue le véritable point de départ du désenchantement du monde. C’est la raison pour laquelle, cette entreprise de pensée se situe, très symboliquement, sous l’égide des zémi, qui étaient les divinités des Caraïbes qui peuplaient le monde et l’enchantaient, puisque ces derniers croyaient que « jusqu’aux petites feuilles d’arbres ont leur zémi en particulier qui les fait croître »



Le discours intellectuel s’estompe de plus en plus dans une parole partisane. Pensez vous qu’il y ait à craindre un certain dogmatisme intellectuel ?

« L’ intellectuel » est une figure de l’Occident, qui a d’ailleurs tendance à s’estomper pour une raison fort claire : c’est que, dans le monde numérique, il n’y a rien à penser, il y a à fonctionner. C’est la raison pour laquelle, à l’intellectuel, se substituent les spécialistes en tous genres et les propagandistes. La « parole partisane » et « dogmatique » est celle que propagent ceux qui sont fascinés par l’ordre mondial de l’Occident. Mais quant au phénomène que vous évoquez pour la Martinique, il s’agit de tout autre chose : dans un monde placé sous l’omnipotence de l’image, l’individu se trouvant dans une société ou un pays qui n’a pas d’image propre a toujours tendance à vouloir surexister en tant que Moi-Je. Ajouter à ce phénomène que, dans un pays colonisé, le colonisé se meut toujours sous le regard du Maître, et se meut à seule fin d’accrocher le regard du Maître. D’où, il découle ce phénomène que la langue créole a bien caractérisé sous le nom de « jalousie ». La « jalousie » en quelque sorte règne en maître, et fait d’ailleurs les délices du Maître, puisqu’elle lui permet de perpétuer son règne. Ajouter encore, qu’elle s’exerce généralement pour des sujets « merveilleusement vains ».

Mais la réprobation de ce phénomène ou de cette attitude, ne doit pas conduire à reléguer tout débat et toute critique, même vigoureux, qui nous font au contraire, depuis quelques belles lunes, cruellement défaut. Par exemple, il semblerait que toute attitude qui ne s’apparenterait pas à de la pure révérence devant Aimé Césaire soit jugée « incorrecte » alors même que nous nous devons une appréciation de ses écrits et de sa si longue et si décisive activité politique.

Par exemple, il semblerait qu’il ne soit pas « correct » de ne pas reprendre en cœur, « tout-monde », « tout-monde » derrière Edouard Glissant, ce qui est fâcheux avant tout pour lui-même ; ou de ne pas renchérir sur cette idée, que pour ma part je trouve plutôt scabreuse, d’une existence rhizomique ou hydroponique.



Peut-on aller jusqu’à stigmatiser une ou des pensées serviles ?

L’ensemble des essais réunis dans « Eloge de la servilité » laisse apparaître un double niveau de servilité qui en réalité communique d’une part, un niveau constitué par nous, Martiniquais, ce qui nous a établis, conformés tout au long de notre courte histoire. Or cette figure du Martiniquais, si nous acceptons de la regarder en face, si nous acceptons de la mettre à nu, plutôt qu’inconsidérément la farder et la sublimer ainsi qu’opèrent les théories du métissage comme archétype, est une figure, à tout le moins paradoxale : nous voilà en présence d’une émanation curieuse, d’un sujet qui accepte et même désire la domination du Maître et qui en quelque sorte en retour, voudrait du respect. Car c’est bien cette ambivalence qui nous constitue : désirer être dominé et revendiquer le respect. Dans une ironie involontaire d’ailleurs, le terme « domien », s’il nous prend malice d’y entendre l’écho du mot latin domus, la maison, dit bien cette situation de Nègre-Maison, drapé dans sa dignité, ayant appris les bonnes manières, et regardant de haut, le Nègre-bois, le Haïtien ou le Saint-Lucien.

D’autre part, il y a le niveau de servilité constitué plus généralement par notre appartenance, pleine et entière à ce monde numérique et notre engouement à circuler et à consommer dans le marché qu’il a institué, ce qui renforce en la redoublant, notre servilité, et en fait quelque chose d’assez désespérant.
Mais pour répondre directement à votre question, il n’y a pas de « pensée » qui soit servile. La pensée, dans son déploiement, pour reprendre l’expression de Claude Levi-Strauss, est « pensée sauvage ». La pensée n’a pas d’histoire par où elle pourrait progresser ou régresser. Elle consiste, en une seule chose : « être familier de la pensée qui gouverne le tout par le moyen du tout ». Elle est donc commune à tous et à la portée de tous.



L’éloge de la servilité c’est paradoxalement l’éloge de la parole libre ?

A condition de ne pas entendre libre à la façon de l’Occident, qui a conçu la liberté, avant tout comme la liberté de dévaster la terre et a persuadé l’homme, en l’attelant à cet ouvrage, qu’il s’accomplissait ainsi et y gagnait sa liberté. Une parole libre est d’abord une parole qui répond à l’écoute du monde comme chant. Un proverbe créole ne dit-il pas « prèmyé mo sé manman zorèy » (la parole est la mère de l’écoute) ? Mais une parole libre est aussi une parole qui se déprend des discours anesthésiants et normatifs dont ont nous abreuve à longueur de jour. Une parole libre est une parole qui combat l’impuissance délétère environnante, les « on ne peut pas faire autrement », une parole qui s’efforce de reconsidérer et de nous reconsidérer, de regarder notre corps, nos gestes et nos pratiques, de cesser de faire « comme », de n’être qu’un « comme », ce petit mot insignifiant qui semble tellement nous envoûter, nous tenir sous son emprise. Enfin, une parole libre est une parole qui tente de regagner en sauvagerie pour vibrer : nous sommes devenus tellement lisses ! Le monde numérique, le monde de la servilité, a pour propension de tout lisser. Tout poli, tout lustré, tout glacé…



Vous aimez à dire que la parole a perdu sa sauvagerie. Est-ce à dire que nous l’avons civilisée ?

C’est nous qui avons été, en tous cas apparemment, civilisés. Pour ce qui est de la parole créole, les choses se présentent de façon plus complexe. Ayant été civilisés, nous l’avons quelque peu délaissée : nous ne l’entendons plus, à proprement parler, elle ne nous parle plus. Et pourtant, nous la parlons. Est-ce à dire, qu’elle nous est devenue « étrangère » ? Or, à bien considérer, le regard que notre société porte sur la langue créole est largement décomplexé : On ne la dénigre plus, en apparence ou ouvertement tout du moins, on ne l’interdit plus, on l’écrit, on l’enseigne, elle est devenue visible. Cependant, elle ne nous parle plus, et en conséquence, nous ne portons plus sa parole. Porter la parole, c’est être un messager, voilà : nous ne sommes plus les messagers de notre parole. Que s’est-il donc passé ? Il s’est passé que ceux qui ont œuvré à la promotion du créole ont confondu langue créole et parole créole. Nous avons été victimes de l’illusion que langue créole égale parole créole. Or il n’en est rien. Nous avons donc voulu que cette langue soit prise en considération comme toute langue, qu’elle soit à pied d’égalité avec d’autres langues et utilisée comme toute langue comme outil de communication. Seulement voilà, une langue n’est pas qu’un outil de communication. Une langue véhicule, avant tout, une vision du monde. Or, à mesure que notre société s’éloignait de cette vision qui avait vu à la fois naître la langue et la parole créole, notre effort en faveur de la langue créole était voué à ne restituer qu’un outil. D’où l’extrême importance pour nous aujourd’hui de renouer avec l’écoute de la parole créole qui est en effet une parole sauvage qui peut irriguer nos pratiques, aider à les renouveler, en même temps que notre vision du monde.



Pour vous le créole est une langue qui se crie. A quoi sert de le crier s’il n’y a point d’écho ?

Attention : ce que j’appelle la « criation » et l’ « atelier de criation créole », c’est la mise en œuvre, instinctive, spontanée, des « règles » qui président à la formation du mot créole et donc, à la formation de son vocabulaire. Or, cet aspect d’une langue constitue sa partie charnelle, sensuelle, sensible (à tous les sens). Si cette criation créole a longtemps été foisonnante, on peut constater qu’elle est aujourd’hui sérieusement en panne. Autrement dit, la syntaxe de la langue, qui en constitue en quelque sorte le squelette, demeure ; mais il n’y a plus, ou peu de cette inventivité langagière, qui fait la succulence du créole. De sorte que les mots, français notamment, s’y installent intacts sans payer ni taxe, ni droit de douane. Dans cette situation, la langue se défigure, elle s’élime, si bien qu’en entendant de nos jours certaines personnes parler créole, on se prend à se demander : men kalté lang sa misyé ka palé la-a ? Il est bien évident que dans un tel contexte, où la langue s’abîme, sa parole, elle, est plus qu’assourdie, pour ne pas dire totalement inaudible. Il est évident également que, remédier à cette situation ne peut se faire de manière artificielle ou par des injonctions. Redonner un écho à la langue pour qu’elle s’entende elle-même et se réponde, devient une affaire éminemment politique. J’entends par là, qu’elle appelle l’existence d’un pouvoir politique martiniquais, lui-même soucieux de redonner écho à la langue et à la parole martiniquaise.



Pour vous, la seule révolte encore possible pour ne pas dire la seule révolution serait celle de la nature. Seules les catastrophes (on vient d’en échapper à une grosse) peuvent arrêter l’ordre du monde. Ce n’est pas très encourageant ?

La question n’est pas tant d’être optimiste ou pessimiste. Il faut d’abord être lucide, comprendre les évolutions en cours, débrouiller leur genèse, bien appréhender, bien identifier ce qui les active, afin d’être en mesure d’évaluer les chances d’échapper aux calamités qui s’annoncent à l’aune des politiques qu’on entend mettre en œuvre à l’échelle de la planète. En premier : on entend partout dire : « nous sommes tous concernés par le sort de la planète ». Certes. Mais c’est aller un peu vite. Il faut d’abord dire : la civilisation occidentale est totalement responsable de la dévastation de la planète. Ceci, non pas pour chercher des coupables à punir. Mais pour mettre à jour les ressorts de cette civilisation et les interroger sérieusement, en vue d’une réelle remise en cause. Or, non seulement on évite avec soin de le faire, mais on poursuit de plus belle l’extension et la croissance de ce modèle de civilisation, on la célèbre et on la glorifie sur tous les tons. Par conséquent, j’en conclus que toutes les mesures que les mêmes pourraient prendre en vue d’échapper aux calamités dites « naturelles », ne peuvent se ramener qu’à un catalogue d’actions à la marge : lanmori pa ka tounen viann. Au-delà, et c’est à mes yeux le plus important : dans le monde numérique dans lequel nous sommes entrés, l’homme n’a plus la maîtrise de quoi que ce soit. Il n’est plus en mesure de stopper les évolutions en cours, voire les inverser. L’homme n’a plus la main. Ce sont désormais les technologies et leurs évolutions, dans une logique qui leur appartient en propre, qui rythment le temps et donnent le ton. Nous tardons à prendre toute la mesure d’une telle révolution, parce que l’homme a occupé durant les quelques siècles qu’ont duré les temps modernes, le devant de la scène. Mais la scène est désormais vide, et l’homme devant tous ses écrans est devenu un simple spectateur. Il regarde défiler le monde. Il avait voulu en faire une image pour le maîtriser et se l’approprier. Il a à présent, toutes les images du monde, devant ses yeux fascinés, mais il n’est, lui, plus rien qu’un spectateur. Le monde numérique n’a besoin de l’homme que comme simple accessoire.


Sur le terrain, Lakouzémi se construit autour d’actes de création. En réalité, vous voulez nous réapprendre à vivre et échanger dans une proximité avec nous-mêmes….

Lakouzémi, c’est en effet, un lieu conçu à la fois pour nous reconstituer et pour interroger. Une démarche pour précisément sortir devant nos écrans, sortir des discours constitués, du « prêt à penser ». Donc, en tout premier lieu, apprendre à écouter notre parole car c’est elle qui doit nous mener là où nous allons. Ce lieu doit s’élaborer à partir de pratiques qui se questionnent, des pratiques de vie tout simplement, et que l’échange, le Bokantaj , doit aider à questionner. Ce lieu se déploie en plusieurs volets : une publication annuelle autour d’un ensemble d’écrits cohérents, qui appellent des contributions diverses, des lectures diverses, des prolongements. La première publication Lakouzémi, porte le titre d’Eloge de la servilité, avec un ensemble d’essais que j’ai proposés. Et des journées rencontres, dans un lieu symbolique, un Pitt, et à des dates symboliques. Lakou c’est le lieu de l’échange, c’est le lieu d’où la parole se déploie depuis la différence et la tient rassemblée et accordée. Zémi, c’est l’esprit, l’exigence à la fois d’une hauteur et d’une profondeur, d’une densité. Lakouzémi, c’est donc une pensée en quête en tout de l’esprit des lieux. Mais il est évident que ce projet, une fois mis en route, ne peut s’épanouir et cheminer que s’il trouve un écho, d’abord ici même dans notre pays, s’il réveille une attente, s’il rencontre un répondeur. Alors, nous saurons s’il peut aller, et jusqu’où…